Voyage en photographie

16 septembre 2021
Voyage en photographie

Carine Doutrelepont est avocate aux Barreaux de Bruxelles et de Paris, professeur ordinaire à l’Université libre de Bruxelles et membre de l’Académie royale de Belgique. Elle a acquis, en 2019, le titre de photographe professionnel, après avoir suivi diverses formations en France, en Allemagne. Depuis des années, elle a photographié l’humain et des sites exceptionnels aux quatre coins de la planète. Elle a exposé dans différentes villes européennes, dont Bruxelles, Mons, Paris et Frankfort, ainsi qu’américaines dont New-York ( Chelsea), et participé à plusieurs foires internationales. Elle est interviewée pour le Grand Journal du Droit par l’ancien ministre de la Justice et bourgmestre de Courtrai Stefaan De Clerck, président du Conseil d’administration de Proximus, sur sa passion photographique qui coexiste avec celle de son métier d’avocat

blog image

Avocate et photographe professionnelle désormais, comment en es-tu venue à la photographie ? Le job académique, l’avocature et l’Académie royale ne te suffisaient pas ? Une passion que tu poursuis, j’entends, mais qui te prend du temps.

Le temps est élastique et nos passions nous aident à le dilater. J’ai toujours été attirée par la création et j’en ai fait mon métier premier : en devenant avocate en droits intellectuels et en droits des médias, matières que j’enseigne également à l’université. Plus fondamentalement, l’image m’est souvent apparue comme une source extraordinaire d’inspiration, de témoignage et de liens avec soi-même, avec l’autre, avec le monde. Ma fille Milena a joué un rôle cardinal dans ce choix photographique car elle m’a accompagnée dans mes premiers voyages en terres volcaniques et nous avons réalisé ensemble nos premières expositions. Il y avait aussi cette envie forte de lui partager cet esprit d’évasion qui enrichit l’être humain, comme l’écrit, Sylvain Tesson « Sous les étoiles de la liberté ». Notre métier d’avocat nous fait également vivre des choses passionnantes mais souvent loin de nos proches, de notre famille. Photographier devenait un prétexte pour voyager et surtout pour aller à la rencontre de la Nature et de l’Autre. Et puis, la photo, c’est aussi un besoin de m’engager différemment, de défendre des causes par d’autres voies que par la voie juridique. Tout cela est complémentaire au fond. Comme le travail juridique, la photographie, est une forme d’écriture, et permet la rencontre avec le monde et soi-même ainsi qu’un témoignage sur le réel, à travers un filtre subjectif, un parti pris photographique, qui a des connivences avec le parti pris juridique.

Est-ce que tu te trouvais artiste dans ta jeunesse ?

Franchement, je n’en ai aucune idée. C’est une question que je ne me posais pas à l’époque. Les livres me nourrissaient ainsi que les rêves qui les accompagnaient. L’académie de Watermael- Boitsfort était un lieu d’accueil fabuleux pour la jeune adolescente que j’étais. Son jeune directeur de l’époque, le compositeur Frédéric Van Rossum, permettait la pratique des arts avec bienveillance. Les artistes y partageaient leur passion et j’étais fascinée par leur univers dont je ne voyais que les beaux côtés. Nous étions une petite équipe à y faire de la déclamation, du théâtre et à écrire des poèmes. Plus tard, ce fut Albert Aygueparse qui accueillit quelques-un de mes poèmes dans sa revue « Marginale ». En définitive, c’est un livre de photos que j’écris aujourd’hui, après des livres de droit, en y inscrivant certains poèmes ou textes pour accompagner mes photos.

As-tu fait de la musique car tes photos on les verrait bien accompagnée de musique ? Il y a des mouvements d’images. C’est la nature qui évolue, comme la musique qui se transforme.

blog image

Comme toutes les écritures, la photographie a sa mélodie. Elle initie un mouvement, elle existe dans l’ attente et suscite toujours un élan comme en musique. Lorsque l’on arrive à transmettre la vibration du vivant, l’émotion du moment, on a pris une belle photo. Ou c’est plutôt la photo qui nous a pris ! Dans mes photos de terres volcaniques, j’ai voulu témoigner de la transformation de la Nature, de la métamorphose renouvelée qu’elle nous propose, mais aussi de son anthropomorphisme. Nous sommes à son image et ne faisons qu’un avec Elle. Elle nous parle de nos parts d’ombres et de lumières, de l’impermanence des choses, de l’inévitable transformation qui nous accompagne.

Certains disent qu’être actif professionnellement, ça rend difficile l’ouverture sur le monde. Mais pas pour toi on dirait ? On a pas l’impression que tu veux t’éclipser du monde de l’avocat et que tu fais de la photo pour changer ?

C’est vrai. J’y trouve un équilibre de vie. Le lien entre l’émotion et la rationalité, la sensibilité et la maîtrise, la liberté à chaque fois. Je dis souvent à mes amis et mes étudiants que comme avocat « on entre par effraction dans la vie d’autrui», en photo, on entre par émotion dans la vie du monde, à la rencontre de grands espaces et de l’Autre, on croise toujours l’inattendu qui, selon d’Ormesson, est au cœur du bonheur. C’est un engagement dans les deux cas. Je suis engagée comme avocat et je le suis comme photographe. Selon moi, si l’esthétique est importante, elle ne suffit pas en soi. Elle est un véhicule pour faire passer un message. Certains le fond à travers des images « trash » et dramatiques, moi je le fais, en général, à travers une image positive qui invite à aimer, et à chérir ce qui nous entoure. Ce qui importe, c’est que la beauté du monde puisse faire passer un message, un ressenti même si ce n’est pas toujours facile à réaliser.

blog image

Tes photos au départ plus réalistes, évoluent vers une forme d’abstraction, de simplicité, de pureté. C’est un choix de ta part ?

Est-ce un choix de ma part ou la réalité qui s’impose à moi sous un nouveau jour ? Dans la représentation du paysage, c’est mon regard qui a changé et qui a évolué au fil du temps. Le paysage n’échappe-t-il pas continuellement au cadre, tout comme l’être humain échappe aux stéréotypes qu’on lui colle à la peau ? Mon goût pour la peinture, la poésie et la philosophie n’est pas étranger à cela. Pour les peintres, les poètes et les philosophes, la Nature a toujours été une source d’inspiration profonde. Ses strates, ses couches intimes et dégradées sont multiples et rappellent les nôtres, notre inconscient. J’aime les travaux de Rothko, Spilliaert et les œuvres plus récentes de Bioulès, de Guy de malherbe dont les peintures évoquent la sérénité et le tumulte comme l’extraordinaire lumière ou les ténèbres des terres volcaniques. A côté de cela, garder une part de fantaisie dans le travail photographique permet la légèreté. C’est peut-être une note de surréalisme belge qui ressurgit dans certains de mes récents portraits.

blog image

blog image

Dans tes photographies, on y voit une nature sereine et élégante, éclatante, mais aussi torturée, ou bouillonnante. Pour quelles raisons ces terres volcaniques t’ intéressent-elles ?

blog image

Par leur lien avec l’Humain et le fait qu’elles témoignent de l’origine de la Terre. La Nature nous parle de nos forces et de nos fragilités, nous sommes à son image. Par ailleurs, les volcans sont fascinants et nous ramènent aux origines de la planète. On y retrouve le magma originel. Les volcans, bien qu’arides, sont aussi un univers de femmes, habités par des déesses. Les peuples qui y vivent les vénèrent et vous en parlent comme d’un être humain. C’est ainsi à Hawaï mais également en Sicile où les déesses transmettent des messages, à suivre, aux Humains que nous sommes.

blog image

Tu cherches quelque chose de rare, de différent, d’exceptionnel. Tu n’aimes pas ce qui est normal, simple. Tu aimes aller jusqu’à la limite de l’être humain ? Tu te reconnais là-dedans ?

J’aime toucher aux limites de l’être humain, c’est vrai, mais en réalité ma recherche, c’est plutôt de déceler la poésie dans la simplicité du moment et la pureté des paysages et des êtres. Comme d’autres, témoigner de l’invisible, comme de ce qui nous traverse et dont nous parlons moins. C’est difficile de parler de l’intime avec les mots, la photo est un chemin à la rencontre de l’intimité. Mais grâce à la photo c’est la fenêtre de mes perceptions qui s’ouvre et qui me permet de revisiter l’ordinaire, et ce qui m’ échappait apparaît dans sa singularité et sa beauté cachée.

Un nouveau projet artistique que tu as intitulé « le goût de l’Autre », centré, cette fois, sur des portraits, est en cours de gestation. Est -ce que tes portraits c’est une constatation ou un engagement ?

Un portrait, c’est en soi une opinion, une relation entre le photographe et son sujet. C’est un engagement. Le travail qui m’est confié est un travail sur la différence, qui sera mené tant sur le plan artistique que juridique, au sein de la Fédération Wallonie Bruxelles, et la Maison de la Francité où des écrivains seront également aux rendez-vous. Mon objectif c’est de rassembler des textes et des portraits en magnifiant la différence que certains, de nos jours, érigent en murs alors que l’on devrait plutôt construire des ponts. Témoigner de nos diversités aussi, de la richesse du vivre ensemble, combattre les préjugés, les replis identitaires et les discriminations. Je vais tenter de relever ce nouveau défi.

Cet appel à l’ouverture, tu le traduis dans tes expositions et dans d’autres projets?

J’espère. Le fait d’exposer est une forme d’ouverture parce que je suis toujours touchée par la diversité des personnes qui viennent aux expositions en termes de génération, de genre, de diversités culturelles, …. Je prépare également mon premier livre photographique. Et puis il y a les réseaux sociaux où nous sommes nombreux à nous retrouver et à échanger facilement nos émotions et nos aspirations. Ce sont des lieux de partage de mes nombreux voyages, de la beauté de la planète à travers ses différences et son Histoire, notre Histoire. Avec pour conviction profonde que prendre soin de la Terre, c’est prendre soin de nous. Prendre de soins de nos différences, c’est prendre soin de notre multiplicité intérieure, de notre relation aux autres et permettre le vivre ensemble.

Partager :